Par Cheikh Mbacké SENE –
Le bruit des armes couvre désormais les espoirs de croissance. De Bamako à Niamey, de Ouagadougou à Tillabéri, le Sahel paie le prix fort d’une insécurité qui se mue en poison économique.
L’Afrique de l’Ouest sahélienne, longtemps perçue comme une zone de transition et d’opportunités agricoles, énergétiques et minières, est aujourd’hui piégée dans une spirale violente où l’essor économique se heurte frontalement à l’insécurité. L’ombre du terrorisme, qui plane depuis plus d’une décennie sur la région, n’érode pas seulement la stabilité politique : elle étouffe progressivement les fondements mêmes du développement économique.
Croissance en chute libre, investissements en berne
Les conséquences macroéconomiques du terrorisme sont alarmantes. Les pays les plus touchés – Mali, Burkina Faso, Niger – ont vu leur croissance économique s’effondrer en quelques années :
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En 2018, le Burkina Faso affichait une croissance de 6 %. En 2023, elle n’était plus que de 1,5 %, selon la Banque mondiale.
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Le Mali est passé d’un rythme de croissance de 5 % à moins de 2 %, plombé par les attaques terroristes et l’instabilité institutionnelle.
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Le Niger, considéré jusqu’en 2022 comme une économie résiliente, est désormais plongé dans une récession de -4,2 % en 2024, à la suite du coup d’État et des sanctions régionales.
Dans l’ensemble de la zone, les investissements directs étrangers (IDE) ont chuté de plus de 60 % depuis 2018, notamment dans les secteurs minier, énergétique et infrastructurel, selon la CNUCED.
🚧 Projets bloqués, corridors commerciaux asphyxiés
Le terrorisme empêche la mise en œuvre de projets structurants cruciaux pour l’intégration régionale :
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Le corridor Ouagadougou-Abidjan, vital pour l’exportation du coton et des minerais burkinabè, est régulièrement entravé.
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Le projet de ligne ferroviaire Niamey-Cotonou, qui devait désenclaver le Niger, est suspendu.
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Le coût des travaux d’infrastructure a augmenté de 30 à 50 %, du fait des exigences sécuritaires, selon la Banque africaine de développement.
Cette dynamique compromet les ambitions de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), en rendant les échanges plus coûteux, moins sûrs et moins compétitifs.
Agriculture menacée, crise alimentaire amplifiée
Dans une région où plus de 80 % de la population vit de l’agriculture et de l’élevage, l’impact est catastrophique :
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Près de 10 millions de personnes déplacées ont abandonné terres, bétail et outils de production.
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Le Burkina Faso a perdu 40 % de sa production céréalière dans le Nord et l’Est.
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Au Mali, plus de 3 000 marchés ruraux sont fermés ou inaccessibles, privant des centaines de milliers de familles de revenus.
Le Programme Alimentaire Mondial (PAM) tire la sonnette d’alarme : la crise alimentaire devient structurelle, et non plus conjoncturelle.
Budgets publics sous pression, développement sacrifié
Dans ces États fragiles, la réponse sécuritaire absorbe désormais une part majeure des ressources nationales :
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Le Burkina Faso consacre 19 % de son budget national à la défense, contre seulement 7 % à la santé.
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Le Mali a investi près de 550 milliards de FCFA (près de 900 millions USD) dans son effort de guerre en 2023.
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La dette publique explose : plus de 70 % du PIB pour certains pays, avec un service de la dette devenu insoutenable.
Les budgets consacrés à l’éducation, à la santé et aux infrastructures de base sont rognés, compromettant les fondations du développement humain.
Une économie parallèle sous contrôle terroriste
Autre danger : la captation de filières économiques par les groupes armés terroristes.
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Orpaillage clandestin, carburant, bétail, contrebande : ces filières alimentent des économies parallèles non taxées.
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Dans certaines régions (Est du Burkina, centre du Mali, Sud-Ouest du Niger), l’État a perdu toute souveraineté économique.
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Ces groupes imposent des “impôts” aux populations locales, sapant l’autorité étatique et creusant l’écart entre les zones gouvernées et les zones abandonnées.
Une réponse multidimensionnelle s’impose
L’approche purement sécuritaire a montré ses limites. Pour endiguer le déclin économique du Sahel, il faut oser une stratégie intégrée autour de cinq axes :
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Redéploiement des services publics essentiels dans les zones reculées ;
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Réinvestissement massif dans l’économie locale (agriculture, artisanat, TPE) ;
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Inclusion des jeunes dans les filières économiques, pour réduire le terreau du recrutement djihadiste ;
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Lutte contre la corruption et pour la justice sociale, seule garante de la légitimité des États ;
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Coordination régionale accrue pour sécuriser les grands axes et relancer les projets d’intégration.
Conclusion : reconstruire la paix par l’économie
L’Afrique de l’Ouest ne peut pas se développer sans sécurité. Mais elle ne pourra pas non plus se sécuriser durablement sans développement. La guerre contre le terrorisme ne sera gagnée que si elle s’accompagne d’une guerre contre la pauvreté, l’exclusion et la marginalisation. Le véritable antidote au chaos reste un État fort, juste et économiquement inclusif.
Car si la guerre empêche le développement, seul le développement peut définitivement mettre fin à la guerre.
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