jeudi 30 avril 2020

L'UEMOA, avec un pas déjà dans la récession, se rend compte de la "non-résilience" de son pacte de convergence.

Cheikh Mbacké Sène, Expert en Intelligence économique
Président de la Commission préparatoire
du Centre International d'Analyse économique (CIAE)

Pour les réalistes, l'UEMOA a déjà un pas dans la récession. A ce jour, à la considération de l'ensemble des paramètres (prolongement de  la pandémique, crise socio-économique, forte baisse de la production industrielle et de l'activité commerciale, des recettes fiscales et douanières respectives des pays...), il est évident que la sous région ne peut faire exception d'une récession qui a déjà frappé les plus grandes puissances, considérées comme des Etats-Continents. Si l'UEMOA décide de suspende son pacte de convergence parce qu'impossible à maintenir par ses temps, c'est parce qu'il est loin d'être cet instrument à effet de levier qu'il devait être.

Que de surprise, à ce stade de la crise, d'entendre les responsables de l'UEMOA suspendre la récession à la "conditionnalité" du prolongement de la pandémie du Covid-19. Alors que le mix de paramètres précités confirme l'entrée en récession. L'UEMOA est dans le déni et la contradiction en refusant officiellement de confirmer une récession installée déjà dans ses entrailles. Non sans pourtant faire substantiellement son aveu sur la détérioration économique de la sous région au point de ne pouvoir maintenir le "pacte de convergence". Ce dernier devait être un instrument de stabilité capable de permettre aux différents pays de la communauté de pouvoir faire face à une telle situation.


L'UEMOA est à un pas de la récession


L'UEMOA comme la plus part des régions du monde et même des grandes puissances vivent les prémices d'une récession. Disons le sans ambages. On considère naturellement qu'un pays est en récession après deux trimestres consécutifs de baisse du PIB. Or l'UEMOA et chacun des pays qui la compose, ont connu, lors de ce premier trimestre bouclé un contexte particulier, une altération de la dynamique de croissance au profit d'une décroissance inquiétante. Il faut se rendre à l'évidence que ce n'est pas demain que la tendance sera renversée et que le deuxième trimestre ne changera probablement pas encore la donne. La marge de manoeuvre assez petite et illusoire pour une résistance et une relance économique convenable. 

A l'échelle étatique comme communautaire, le choc fait perdre l'équilibre dévoilant la fragilité logistique, financière et économique de l'Espace paradoxalement à ses immenses ressources. Aujourd'hui aucun des pays de l'UEMOA ne peut se tenir droit  dans ses bottes en ce qui concerne la maitrise parfaite de la pandémie et de la situation socio-économique inhérente. Ce qui sous entendant la chute du PIB respectif des pays, les désengageant involontairement du pacte de convergence économique, levier de stabilité sous régionale. La fermeture des frontières intérieures, la cessation temporaires des interconnexions commerciales entre pays membres et aussi le reste du monde sont venus s’engoncer dans ce terrain meuble et facilitent la chute du PIB sous régional de 2 à 4 points. Les croissances respectives des différents pays de l'union 2020 devront se situer entre 1,5 et 2,7%. 


Le pacte de convergence de l'UEMOA : Un instrument pas résilient et inefficace.


Si l'UEMOA a suspendu le pacte de convergence, c'est parce que l'instrument en lui-même n'est pas bien efficace. Il devait être un instrument géo politico-économique et financer donnant des moyens et pouvoirs de résilience et stabilisateurs aussi bien aux différents pays qu'à la communauté. Si l'idée du pacte en lui même a été salutaire dans une Afrique divisée avec des économies poussives, la structuration et les paradigmes du pacte de convergence n'épousent pas assez les réalités géopolitiques, socio-économiques et financiers de la sous région pour être cet instrument "anticipateur" et ce levier stabilisateur. Le pacte de convergence doit le premier instrument dont l'organe sous régional se dote pour coordonner leurs politiques budgétaires nationales et éviter l’apparition de déficits publics excessifs. Il comporte alors deux types de dispositions : des dispositions préventives et des dispositions correctrices. Dans les deux dispositions, le pacte a montré ses limites et surtout son inadéquation et son inefficacité face à des situations exogènes complexes. Au lieu d'être une moyen d'allègement, de résilience et de dépassement. Le Pacte devient même aux yeux des régisseurs de la communauté comme un "boulet" dont il faut se séparer momentanément, le temps de la crise. Une sorte de prise de conscience qu'il ne peut être en son état actuel un instrument à impact positif dans la stratégie de riposte économique de la crise actuelle. Le pacte, tel qu'il est aujourd'hui conçu, n'a pas d'aptitudes lui permettant de s’adapter à des circonstances changeantes, de surcroît face à une crise sanitaire qu'il ne pouvait prendre en considération (disposition coercitive) lors de sa conception.

Comme chaque crise est une opportunité, cette pandémie offre ainsi à la communauté l'opportunité de se rendre compte de la défaillance ou insuffisances de ses systèmes et instruments d'intégration multidimensionnelle mettant ainsi en lumières les chantiers futurs de l'UEMOA. Elle indique une rupture qui engendre de nouveaux besoins. La vie de nos sociétés devra changer et il faut entrer dans une nouvelle ère de pensée et d'être.  


Au moins trois chantiers majeurs pour le jour d'après Covid-19


Dans un contexte d'économies liées et ou la notion d'économie accorde (ou devra accorder) une place prépondérante à l'humain (la nouvelle économie du lendemain de la crise de 2009), la communauté a sans doute pris conscience des relations corrélatives entre la santé publique et l'économie, entre les économies nationales et celle communautaire.  

L'absence d'un cadre sanitaire concerté dynamique et innovant a laissé entrevoir des défaillances qui ont un impact direct et dévastateur sur l'économie sous régionale. Il est important lors du dégel du pacte de convergence, d'enclencher une nouvelle phase de réflexion pour repenser le modèle économique communautaire, lequel placera non seulement l'humain au centre, mais devra doter à la communauté d'un instrument capable d'endiguer l'affaiblissement des capacités nationales, locales  et maintenir les économies des Etats à des niveaux de performance et de résilience à toute épreuve. Il s'agira de s’atteler aux déficits structurels et de migrer vers un nouveau pacte de convergence qui travaille à intégrer des fondamentaux et paradigmes innovants, propices à l'anticipation, stabilisateurs, résiliants, performants et efficaces.
Le troisième défi est relatif au renforcement du système financier ouest-africain qui traine encore des lacunes structurelles et organisationnelles. Il faut réfléchir à aller vers un système qui peut absorber avec la plus grande résilience les chocs tendant à devenir récurrents comme les impacts liés à la baisse des cours des actions, la montée en flèche des écarts de risque sur les prêts et la chute des prix du pétrole, la fuite vers la qualité, le défaut de liquidité  sur des marchés traditionnellement, les tensions liées à la lourdeur de l'endettement ...

L'UEMOA ne aujourd'hui peut échapper à la récession. N'étant pas suffisamment outillée pour déployer ses capacités d'absorption et de résilience des chocs économiques liés à la pandémie, l'organe communautaire de l'Afrique de l'Ouest subit de plein fouet la crise. Avec des budgets faibles, conçus sur endettement et très sollicités durant la crise, les pays membres de l'UEMOA subissent déjà un impact direct négatif qui les confine à la recherche de solutions de ripostes d'urgence. Tout, dans le regret d'un vide et/ou d'une inefficacité structurelle. Et dans l'impréparation, l'efficacité n'est jamais au bout. L'affaissement structurel et institutionnel sont des réalités qu'il faut appréhender sans faux-semblants. La communauté a été édifiée sur la nécessité d'apporter des correctifs profonds sinon procéder à la refonte collective même du pacte de convergence, lequel devra coordonner les politiques économiques des pays membres et surtout leur conférer un pouvoir d'anticipation des chocs exogènes et endogènes, de quelque nature que ce soit.





 

mardi 28 avril 2020

Force Covid-19 : L’Etat ignore-t-il les entreprises d’évènementiel qui pourtant contribuent au PIB par le tourisme d’affaire, la création de valeur et d’emplois?

Cheikh Mbacké SENE, Expert en Communication d’Influence
et Intelligence économique
Dans toutes les communications de l’Etat concernant la répartition de l’aide aux entreprises “impactées” et relatives au Fonds Force Covid-19, il n’en ressort nulle part – ou du moins pas encore – la prise en compte des entreprises d’évènementiel, lesquelles ont toutes annulé leurs programmes de l’année. Certaines d’entre elles, qui s’étaient engagées et lancées dans des préparatifs avec des dépenses très lourdes, sont dans le désarroi et se sentent abandonnées à elles-mêmes, condamnées à subir une année blanche.
Elles sont nombreuses ces agences d’évènementiels qui portent sur leurs épaules de grands évènements internationaux au profit de l’économie nationale, contribuant à succès au renforcement du positionnement du Sénégal dans l’échiquier des échanges commerciaux, à l’attractivité des investisseurs étrangers (IDE), au renforcement de la visibilité de l’offre exportable du pays, au networking entre opérateurs locaux, à l’entrée d’importantes devises, à la création de valeurs et d’emplois.
A cause de la Pandémie, tous les évènements internationaux (forums économiques, salons internationaux, congrès, séminaires…) sont annulés provoquant une inactivité criarde pour ces entreprises d’évènementiel. Et ce, à la grande indifférence de l’Etat. Leurs représentants ne sont pas intégrés dans le comité de suivi du Fonds Force Covid-19. Pis encore l’Etat ne parle même pas d’elles là ou on liste les hôteliers, restaurateurs et on ne sait quelle autre corporation…, alors qu’elles sont les plus “impactées” et les plus légitimes à recevoir l’aide et l’appui de l’Etat.
L’Etat doit s’employer à maintenir en vie les agences et organismes qui portaient des évènements internationaux et contribuaient au rayonnement économique, touristique et culturel du pays.
L’évènementiel est un secteur important encore sous estimé et sous exploité au Sénégal. Dans des pays comme le Rwanda, le Maroc, la Tunisie et même la Côte d’Ivoire, l’évènementiel est un des maillons forts et leviers de croissance du tourisme d’affaire également appelé MICE (Meetings, Incentives, Congrès, Événementiel), contribuant en moyenne à hauteur de plus du tiers des recettes du tourisme au Sénégal représentent près de 500 milliards de francs CFA, soit 7 à 8 % du PIB.
Une perte des MICES d’au moins 100 milliards de francs CFA
Les événements à l’initiative des agences d’évènementiel, entreprises et institutions représentent au moins une bonne manne financière de retombées économiques, dont 52 % au bénéfice potentiel des professionnels de la production événementielle (accueil, aménagement, prestation de contenu, traiteur événementiel, location de site…) et 48 % à celui des acteurs du tourisme (transport d’accès et sur place, hébergement, restauration, commerce).
Au-delà de ces chiffres, il faut souligner la valeur sociétale de l’événementiel qui permet de distraire et renforcer des réseaux communautaires d’affaires, socio-professionnels, socio-culturels et religieux… Ce secteur, qui est aussi dans l’antichambre de plusieurs grands succès storytelling et storyliving d’entreprises, de concept de marques et leaders s’est beaucoup modernisé. L’ensemble de ses évènements annulés représente une perte pouvant être évaluée au moins à 100 milliards de francs CFA.
La viabilité du secteur de l’évènementiel est importante. La survie des entreprises du secteur permettra, le moment venu, de pouvoir accompagner la relance économique du Sénégal. La pandémie du Covid-19 a bien changé la donne et remet presque à zéro les approches classiques dans plusieurs secteurs. Dans bien des domaines, le Sénégal – à l’instar du reste du monde -, devra adopter de nouvelles approches avec des changements de paradigmes à bien des égards. Et c’est là que l’évènementiel devra encore porter tout son sens et son poids dans la communication d’influence. Métier primordial qui permet de cibler un public, de faire passer un message efficace en un seul lieu, l’évènementiel est le vecteur d’une communication marquante et efficace.
En voici là quelques raisons à l’Etat de ne pas occulter ces soldats de la “Country visibility” qui contribuent – à leur manière et quoiqu’on dise – à l’essor économique et au Doing Business.

jeudi 16 avril 2020

Coronavirus : Pourquoi Il faut redoubler de vigilance maintenant

Cheikh Mbacké Sène, Expert en Intelligence économique
"Au fur et à mesure qu’on avance le risque prend une place confortable dans notre psychologie au point de sembler nous faire moins peur. Et c’est là qu’on baisse la garde et que l’on devient plus exposé"
Les dernières données quotidiennes sur le coronavirus au Sénégal donne de l’espoir comme si la courbe commence sa descente. Il y a une baisse des cas importés et une stabilisation des cas communautaires. Sans doute la résultante combinée d’actions des autorités exécutives et sanitaires du pays. Non sans saluer nos compatriotes qui ont aussi respecté les mesures de confinement, le couvre feu et appliqué les gestes barrières. Même si quelques récalcitrants ont été enregistrés ça et là, l’essentiel semble avoir été fait. Toutefois, il est important de faire comprendre que le pays entre dans une phase importante où les taux de contamination en baisse peuvent croiser la lassitude et surtout une situation psychologique dangereuse.
En effet, au fur et à mesure qu’on avance le risque prend une place confortable dans notre psychologie au point de sembler nous faire moins peur. Et c’est là qu’on baisse la garde et que l’on devient plus exposé. Alors j’invite tout le monde à faire comme les premiers jours : vigilance, respect des consignes et mesures, engagement personnel et patriote pour protéger plus que jamais nos familles, nos communautés et notre pays. Chacun y a un rôle à jouer. Il faut jurer de ne jamais être celui qui va exposer les autres, par des actes responsables d’abord, et bien sûr en implorant le bon DIEU de continuer à nous donner plus de force, de conviction et de détermination.
Un petit rappel pour notre santé n’est jamais de trop. Alors nous invitons tout le monde à :
  • Ne jamais minimiser les risques (quel que soit celui qui est en face ou encore le lieu), de maintenir les enfants à la maison,
  • De Maintenir les enfants à la maison et d’éviter de les envoyer tout le temps faire les courses. Si tel est le cas leur laver les mains à l’eau et au savon après chaque sortie (mo xam qu’ils reviennent de chez le boutiquier ou d’ailleurs…),
  • Toujours respecter les mesures et de suivre les consignes;
  • Ne négliger aucun détail et désinfecter tout ce qui entre chez vous : de la pièces de monnaies des transactions commerciales, aux sachets plastiques en passant par les emballages, sacs en cuir, les objets en bois et fer, les poignées des portes des maisons et voitures, des boutons d’ascenseur, des télécommandes…
  • Ne pas trop s’attarder dans des lieux potentiellement très fréquentés (boulangeries, commerces, bureaux de transfert d’argent, pharmacies, agences bancaires, ….);
  • Sensibiliser les charretiers – éboueurs qui récupèrent nos poubelles;
  • Si votre Téléphone portable, vos clés  ou volant passent par plusieurs mains, il faut penser les désinfecter aussi régulièrement;
  • Vous moucher le nez avec un mouchoir jetable et à ne pas laisser traîner les mouchoirs usagés;
  • Toujours bien laver les légumes et fruits avant consommation;
  • Eviter au maximum de manger dehors;
  • Demander aux gens qui sentent un début de grippe de ne pas attendre que les choses s’enveniment pour se rendre dans les postes de santé, et surtout de prendre eux mêmes les premières mesures (masque, distance d’un mètre au moins avec chaque interlocuteur, recommandations pour la toux et l’éternuement…) au cas où…
Que Dieu nous protège, protège nos familles, notre pays, l’Afrique et le Monde.

mercredi 15 avril 2020

Marché du pétrole : L'accord historique suffira-t-il à enrayer l'effondrement des cours?


Cheikh Mbacké Sène, Expert en Intelligence économique - Analyste économique
Président de la Commission préparatoire du Centre International d'Analyse Economique
Le recul de la consommation pétrolière quotidienne de 9,3 millions de barils de pétrole en 2020 est la pire crise du secteur depuis 25 ans. L’accord trouvé entre l’OPEP +, les États-Unis, l’Arabie saoudite et la Russie afin de réduire la production de pétrole ne fait pas encore son effet et le pessimisme gagne du terrain. Pour l'heure, ce qui semblait être un bon nouveau départ ne peut trouver son efficacité que sous deux alternatives : la fin de la pandémie ou l'augmentation sur le marché des achats pour les réserves stratégiques. Analyse.

Les pays de l'alliance Opep+ menés par Riyad et Moscou se sont accordés dans la nuit de jeudi à vendredi dernier sur une réduction de leur production de 9,7 mbj pour tenter de stabiliser le marché et d'enrayer l'effondrement des cours. La conclusion de cet accord historique ne semble pas, à ce jour, influencer le marché puisque le cours du WTI a dégringolé de 15% en quasiment une semaine. La baisse de l'offre  ne suffira pas - semble-t-il - à compenser la chute de la demande. Connaissant la psychologie des marchés, l'ultime espoir ne pourrait être, pense-t-on, que la fin de la pandémie. A moins qu'il y ait une augmentation sur le marché des achats pour les réserves stratégiques. 

Il y a une situation que plus personne ne contrôle. Ni les producteurs de pétrole, ni les acheteurs et places financières et encore moins les gouvernement. Les décisions politico-économiques peuvent plus facilement faire dégringoler les marchés et cours qu'elles ne le font monter. La chute se poursuit malgré les vaines tentatives de contrôle de la part de l'Opep et/ou de l'Opep+. 

L'effondrement de la demande mondiale de pétrole en raison de la paralysie économique planétaire est estimée par l'Agence internationale de l'énergie (AIE) à 9,3 millions de barils par jour (mbj) en moyenne sur l'ensemble de l'année 2020.

L'idée pour freiner la chute, stabiliser et voir améliorer les cours, il faut relancer la demande et encourager même certains pays comme les Etats-Unis, l'Inde, la Chine et la Corée du Sud à augmenter leurs achats pour leurs réserves stratégiques. Une alternative qui permettra aux efforts de l'Opep amenée par l'Arabie Saoudite et de l'Opep+ menée par la Russie de porter ses fruits. Le seuil minimal pour stabiliser voir redresser la situation est de 200 millions de baril dans les trois prochains mois. Ce qui représenterait 2 millions de bpj d'offre retirés du marché. Une stratégie pour éviter la saturation de stock et le recours de la stratégie des producteurs américains aux allures de... dumping (payer des acheteurs pour décongestionner leurs sites de stockage). En effet, cette stratégie permettra d'abaisser le pic de l'excédent d'offre et en aplatissant la courbe de la constitution des stocks. 

Toutefois, quoiqu'on en dise, l'accord de l'Opep+ de jeudi dernier est un bon "nouveau départ". Il pourrait tarder mais finir par avoir un impact positif sur les cours du pétrole dans les prochaines semaines. A suivre.

samedi 11 avril 2020

Viabilité des entreprises et des emplois : 4 raisons pour comprendre les décisions du Président Macky Sall


   Cheikh Mbacké Sène, Expert en Intelligence économique
& en Communication d'influence et de Crise 

La pandémie de COVID-19  porte atteinte aux marchés du travail dans presque tous les pays du monde, provoquant des pertes sans précédent en termes d’heures de travail et d’emploi. Au Sénégal, le Président Macky Sall a pris des mesures importantes et dérogatoires interdisant tout licenciement durant la période de la pandémie du coronavirus pour raisons économiques. En sa qualité de Père de la Nation, le Président s'est engagé à sécuriser l'emploi du salarié, non sans penser à l'employeur, lequel bénéficie - à son tour et par ailleurs - d'un paquet de privilèges fiscaux de la part de l'Etat. 

En principe, si l'Etat veut empêcher à une entreprise de licencier, il faut qu'il prennent de manière effective au moins ses charges sociales. Une logique qui prévaut en temps normal. Mais à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Dans notre cas de figure et malgré le contexte exceptionnel l'Etat est allé au-delà.

Toutefois si quelques langues s'élèvent contre ces mesures pour x raisons que nous ignorons, force est de leur rappeler que quatre éléments peuvent au moins justifier et aider à mieux comprendre la décision du Président de la République d'interdire tout licenciement sur la période de la pandémie. 

Le premier élément est l'Etat d'urgence en lui-même. Le décret n° 2020-830 du 23 mars 2020 proclamant l’état d’urgence sur le territoire national confère juridiquement à l'exécutif le plein droit de pouvoir opérer des mesures restrictives des libertés individuelles et dont à réquisitionner et imposer une manière de fonctionner. L'état d'urgente se reposant, entre autres, sur la loi n° 69-30 du 29 avril 1969 relative aux réquisitions de personnes, de biens et de services le justifiant, entre autres,.
Le deuxième argument réside dans la promulgation de la loi l’habilitation qui donne au Président de la République les plein pouvoir à prendre, par ordonnances, des mesures relevant du domaine de la loi pour faire face à la pandémie du Coronavirus. Le droit du travail relève du domaine du droit constitutionnel et est couvert par l'article 8 de la constitution. Ce qui permet de faire la transition vers le troisième argument. 

En effet, le droit du travail sénégalais garantit le cadre de collaboration entre l'employé et son employeur, mais aussi les conditions d’assistance et de protection. Une bonne partie des questions étaient déjà couvertes par le Code du travail partant de l’affirmation du droit du travail à la protection des employés en passant par l’instauration d’un dialogue social dans les entreprises, l’institution légale du chômage technique, la flexibilité de la durée du travail...
Le quatrième argument est humain et relève de la haute sensibilité du Président Macky Sall aux inquiétudes des familles et salariés sénégalais. Le Chef de l'Etat fut salarié et sait mieux que quiconque ce que c'est se reposer sur un emploi stable et/ou le perdre. Il veut éviter que des entreprises profitent de la situation pour dégraissage de la masse salariale et charges sociales. L'on ne peut et ne doit sous prétexte d'une crise de quelques mois se débarrasser d'un employé qui a consacré de nombreuses années de sa vie à son entreprise et contribué valeureusement à tous ses succès industriels et commerciaux.

Employés Vs employeurs : La poire coupée en deux. 

Ces mesures font partie du "programme de résilience économique et sociale", mis en place pour atténuer les conséquences de la pandémie de coronavirus sur la vie des ménages et des entreprises du Sénégal. 

En prenant ces décisions, le Président de la République veille à ce qu'aucune des parties ne soit lésée, rappelant au passage qu'il avait d'abord commencé par proposer un bouquet de mesures salutaires en faveur des entreprises, et portant sur : 
  • Le remboursement de crédits de TVA dans des délais raccourcis;
  • La remise et suspension d’impôts aux entreprises qui s’engageront à maintenir leurs travailleurs,
  • Le paiement différé des impôts et taxes jusqu’au 15 Juillet 2020;
  • La remise partielle de la dette fiscale constatée au 31/12/2019;
  • La suspension du recouvrement de la dette fiscale et douanière;
  • La défalcation des dons versés affectés au FORCE Covid-19 du bilan fiscal de l'exercice courant
  • Un appui de 100 milliards spécifiquement dédiée aux secteurs de l’économie les plus durement touchés par la crise, notamment les transports, l’hôtellerie, mais également l’agriculture;
  • Un déblocage de 302 milliards consacrés au paiement de la dette de l’Etat auprès des entreprises- fournisseurs.;
  • ...

Le Président Macky Sall prend ainsi ses responsabilités pour garantir la viabilité des entreprises et des emplois. Ces différentes mesures fortes permettront d'atténuer les chocs liés à la crise sanitaire, mais aussi aux bouleversements économiques et sociaux qui menacent les moyens de subsistance et le bien-être des milliers de familles sénégalaises.  





ECO - LA SOUVERAINETE MONETAIRE N'AURA PAS LIEU ET L'ARRIMAGE A L'EURO EST INCONTOURNABLE

Cheikh Mbacké Sène, Expert en Intelligence économique
L'ECO sera arrimée à l'EURO considérée à plusieurs égards comme la monnaie de référence et la France restera le garant financier même si elle déclare se retirer des instances de gouvernance. Toutefois, si l'arrimage permet de mieux maitriser la volatilité, force sera de reconnaitre également que l'action en elle-même induit une forme d'abandon de souveraineté. Considérant cet aspect et celui de la nécessaire  poursuite du compagnonnage avec la France, l'on peut aisément conclure que la souveraineté monétaire, chantée sur tous les toits depuis l'annonce du changement, demeure illusoire.
 
La monnaie est le premier pilote d'une économie. C'est un actif financier qui a un rôle psychologique dans la confiance des populations quant à leur économie. L'arrimage d'une monnaie de référence (euro ou dollar) est à l'image de ce que l'ancre représente pour un navire. Lier le sort de sa monnaie à celui d'une autre permet non seulement de mieux vivre les volatilités, mais permet à celle-ci  de bénéficier des largesses de la crédibilité de la devise de référence et des organes autoritaires. L'arrimage offre, quoiqu'on dise, un certain confort nécessaire dans les transactions commerciales internationales. Ce qui sous-entend pour le cas de l'Eco que le vrai problème n'est pas la question l'arrimage en tant que tel, mais le taux de change, c'est à dire le coût de l'Eco par rapport à l'Euro. Ce taux de change constitue un faux-ami puisqu'il n'a rien d'une égalité absolue entre le FCFA et l'Euro, parce que les fondamentaux du système de change sont, entre autres, les mécanismes rééquilibrants.

Malgré toutes les supputations deux vérités demeurent quelques que soient les orientations et soubassements du projet de cette nouvelle monnaie: La souveraineté monétaire n'aura pas lieu et l'arrimage à l'Euro est incontournable. Il est donc impensable que l'ECO ne soit pas arrimée à l'euro pour plusieurs raisons : l'existence de deux économies synchronisées entre l'Afrique de la Zone Franc et l'Euro pour ne pas dire la France, le libellé en Euro des dettes extérieures des pays de la zone franc; ou encore leur forte intensité des relations économiques et commerciales... En 2018 par exemple, les pays de la  zone ouest-africaine ont absorbé 35% des exportations françaises destinées à l’Afrique subsaharienne, avec un taux de couverture des importations françaises par les exportations à 304 %, pour donner une idée du poids de la France dans les économies des pays de la Zone Franc et vis versa. Le vrai débat  aujourd'hui devrait porter sur l'équation du régime de change, ou régime de taux de change et sur l'approche africaine une fois le retrait partiel de la France effectif.

L'EQUATION "REGIME DE CHANGE" OU "REGIME DE TAUX DE CHANGE".

Le vrai problème n'est pas l'arrimage, mais le "régime de change", ou "régime de taux de change". La monnaie européenne au cours élevé demeure un facteur négatif pour les exportations et importations des pays de la Zone Franc. Les Africains espèrent que ce tournant permettra une revalorisation de la valeur de leur monnaie (ECO forte dès le départ).  Pour l’Elysée, pas question a priori de revenir sur la « parité fixe » de la devise avec l’euro (1 euro = 655,96 francs CFA qui devra donner donc si l’on suit la « logique élyséenne » 1 euro = 655,96 Eco). La question du taux - très sensible - reste soit en suspend soit passée sous silence d'un commun accord entre l'Elysée et les Chefs d'Etats africains. Dans un régime où le taux de change est fixé par les autorités monétaires (parité fixe) comme c'est le cas actuel avec FCFA, l'équilibre du marché des changes est assuré. Il importe de rappeler que les taux de change fixes favorisent le commerce extérieur en offrant un environnement monétaire stable. Les concernés vendent les devises étrangères si l'offre dépasse la demande des devises ou achètent les devises si l'offre est inférieure à la demande.

UN IMPERATIF DE CONJUGUER EXPERIENCE DU FCFA, CONSIDERATION EMPIRIQUE DES REGIMES ET ORIENTATION ECONOMIQUE POUR ADOPTER LE "FORMAT" AD-HOC.

Par ailleurs, même si on alerte avec des supputations tout azimut par rapport au régime le plus stratégique pour "la nouvelle orientation monétaire et économie africaine", selon que la parité demeure fixe ou flottante, la prudence doit être requise. Une prudence à toutes les étapes du processus de mise en place, mais surtout sur la nature même du régime. Car malgré tout ce que l'on peut avancer, une vérité demeure : la difficulté de juger de manière abstraite des bienfaits et des inconvénients d’un système de change (partant des paramètres techniques financiers et non de pures spéculations). Et là même, pour être plus rigoureux, il ne suffit pas de s'arc-bouter sur la nature du système de change pour analyser les avantages et les inconvénients qui en découlent. Et ce pour deux autres raisons très simples : le système monétaire international est extrêmement lié au système financier international et que pour comprendre les avantages et les inconvénients d’un type de régime de change, il faut examiner le mode de circulation des capitaux entre les deux zones monétaires concernées. Ce qui renvoie encore une fois au triangle des incompatibilités de Mundell et Fleming. L’analyse empirique des deux systèmes de change (fixe et flottant) permettra de  juger des avantages et des inconvénients de l’un et l’autre, en observant la faiblesse ou la forte mobilité des capitaux.   Pour réussir le pari de la rupture et se doter enfin d'une monnaie plus compétitive, rien n'est plus méditant que la longue expérience du FCFA. Celle-ci doit être mise en confrontation avec une analyse empirique des systèmes de change et mais aussi la nouvelle orientation stratégique des économies africaines. Non sans prendre conscience, encore une fois, des potentialités économiques actuelles et futures (ressources, marchés...) des pays de la Zone Franc.

REMPLACEMENT DU FCFA PAR L’ECO : ATTENTION AUX REVERS DE LA…”MONNAIE

Cheikh Mbacké Sène, Expert en Intelligence économique
& Communication d'influence et de Crise

L’adoption de l’Eco par les pays de l’UEMOA à partir de juillet 2020, annoncée conjointement par le président ivoirien Alassane Ouattara et le Président français Emmanuel Macron est-elle vraiment un gigantesque pas accompli de la sous-région ouest-africaine dans son affranchissement monétaire et économique ? Car même si ce changement majeur, sur fond d’autonomisation économique, passe par une décentralisation des 50 % des réserves africaines du Trésor français vers d’autres réceptacles plus autonomes et par le retrait des représentants français des organes de gestion de la monnaie de l’UEMOA, force est de considérer aussi que l’Eco gardera – pour l’heure – une parité fixe avec l’euro. Et la France jouant un rôle de “garant” en cas de défaut de l’un des États membres. Alors peut-on véritablement parler de changement dans l’autonomisation monétaire et économique lorsque l’on sait que le rapport monétaire reste sur le fond donc inchangé ? Le remplacement du FCFA par l’Eco ne change rien tant que la parité entre l’Eco et l’euro reste fixe et indécemment à l’avantage de la France pour ne pas dire des économies européennes. Et même si elle était variable, cela ne protègerait pas pour autant plus nos économiques sans les préalables et l’attitude requise de la part de nos Etats. Explications.
Le FCFA avait été l’astuce trouvée par la France pour proroger sa domination et sa mainmise sur les ressources et les systèmes financiers et économiques de ses anciennes colonies. Jusqu’ici, les 14 États africains qui utilisent le franc CFA doivent déposer 50 % de leurs réserves en France, obtenant en contrepartie une convertibilité illimitée avec l’euro. Cela leur confère une certaine facilité pour le commerce international, car si un État de la zone franc ne peut pas assurer le paiement en devises de ses importations, la France “garantit” le versement des sommes correspondantes en euros.
L’éco peut être plus dangereux pour notre économie que le FCFA si..
Après l’entrée en vigueur de l’éco, les pays africains concernés disposeront eux-mêmes de 100% de leurs réserves. Une nouvelle donne qui sera d’autant plus inquiétante parce que les exposant plus à des risques de mauvaise gestion si l’on considère l’irresponsabilité et l’égoïsme de certains de nos dirigeants. L’autre danger réside dans l’éventualité qu’un État de la zone “Eco” ne puisse pas assurer le paiement en devises de ses importations. Soit il s’endette soit il expose ses populations à la pénurie des produits à importer. Les prédispositions pour une mise en vigueur effective et efficiente font encore défaut, et à plusieurs niveaux souvent indexés au sein de la CEDEAO. Même avec la pression sur le FCFA qu’ils cherchent à évacuer, les pays de l’UEMOA doivent se rendre à l’évidence de leur inconvenable impréparation comme en atteste encore aujourd’hui les écarts dans le suivi des critères de convergence, maîtrise de l’inflation, des déficits, de la dette, des fluctuations de change et des réserves extérieures – entre les pays de la zone UEMOA, qui les respectent dans l’ensemble.
La France qui s’est engagée pour un retrait, plaide toujours en faveur du maintien de l’arrimage sur les politiques monétaires européennes. Pour l’Elysée, pas question a priori de revenir sur la “parité fixe” de la devise avec l’euro (1 euro = 655,96 francs CFA qui devra donner donc si l’on suit la “logique élyséenne” 1 euro = 655,96 Eco). Alors que la fixité des parités réduirait selon Macron le risque de change pour des investisseurs ou pour des exportateurs et risques d’inflation. Alors que cette parité fixe est l’un des premiers facteurs bloquants de la compétitivité des entreprises africaines. Et cela va au-delà, puisqu’il faut considérer ces engrenages handicapants jusque dans la compétitivité économique, laquelle peut être scindé en compétitivité-prix et en compétitivité structurelle. La compétitivité-prix relève de la capacité à produire des biens et des services à des prix inférieurs à ceux des concurrents pour une qualité équivalente, alors que la compétitivité structurelle relie la compétitivité aux effets de structure. Il est question de la capacité à vendre ses produits ou services indépendamment de leur prix mais en faisant valoir d’autres arguments (qualité, innovation, services après-vente, image de la marque, délais de livraisons, capacité de s’adapter à une demande diversifiée…). Et ce même si la compétitivité peut être déterminée par plusieurs facteurs en dehors du prix ou taux de change nominal (cours de la monnaie).
Autre chose qu’il faut savoir, c’est que ce changement annoncé ne changera au fond rien si la nouvelle monnaie est maintenue au même niveau et dans les mêmes conditions que le défunt FCFA.
La situation du FCFA à laquelle l’on tente de mettre fin, a été inédite par ses conditions et sa durée. A y penser, on se demande comment l’Afrique a pu survivre à cet arrimage monétaire pendant plus d’un demi-siècle ? La réponse à cette survie de l’Afrique dans de telles conditions est à trouver dans l’immensité et la diversité de ses ressources naturelles et à ses volumes d’exportation. Une considération qui devrait encore nous faire prendre conscience des atouts, de la place et position qui doit être ceux du continent dans l’échiquier des échanges commerciaux internationaux.
L’enjeu réel : la compétitivité économique de la sous-région
Un nouvel arrimage plus “raisonnable”, une “parité” variable, et dont les fluctuations se feront en tenant compte des aléas et autres chocs exogènes sont fondamentaux si l’on veut marquer la rupture. Là encore faudrait-il que nos dirigeants et spécialistes de ces questions soient plus vigilants et plus ingénieux tant dans les négociations que dans la mise en application. Les agissements monétaires doivent se faire sur fond d’intégration de la notion de compétitivité économique pérenne. Car d’une part se limiter aux indicateurs du taux de change nominal ou du taux de change réel ne permet pas de prendre en compte les nombreux facteurs déterminants de la compétitivité économique. D’autre part, il urge que l’Afrique se donne les moyens de faire face aux enjeux actuels et futurs, sachant qu’aujourd’hui l’indice de compétitivité en Afrique subsaharienne est de 45,2 sur 100, alors que la moyenne mondiale est de 60 (démontrant qu’aucun pays dans le monde n’est à 100% compétitif). En plus de classer la région comme dernière du classement mondial, ce score indique surtout que l’Afrique subsaharienne n’atteint même pas le seuil minimum de la moitié de la note maximale, soit 50 sur 100.
L’Eco est une opportunité de changement à condition de savoir bien la positionner. Cela va au-delà des considérations monétaires. L’enjeu réel, c’est la compétitivité économique de la sous-région pour ne pas dire de l’Afrique. Si l’Afrique rate ce virage stratégique, ce sera parti pour une troisième ère de…colonisation.

jeudi 9 avril 2020

Pétrole - Reprise des négociations de l'Opep+ : Le jeudi de tous les espoirs


Cheikh Mbacké SENE,  Expert en Veille et intelligence 
économique - Analyste économique 
Ce jeudi 09 avril 2020 sera celui de tous les espoirs pour le marché du pétrole. Les trois plus grands producteurs, en l'occurrence les Etats Unis, l'Arabie Saoudite et la Russie, qui ont tenu avec la pandémie du Coronavirus le marché en haleine, finissent par entendre raison. Ils ont tous accepté de reprendre les négociations pour trouver un moyen de réguler la production mondiale, stabiliser les prix des cours et résoudre dans la foulée les trois équations évoquées dans mon analyse de la semaine dernière intitulée "L’OPEP+ en suspens sur un marché étouffé par 3 équations à 3 inconnues".

Dans mon analyse précédente je rappelais en substance l'impossible persistance des trois plus grands producteurs mondiaux de pétrole à vouloir mainteneur le jeu de poker auquel aucun ne pouvait sortir indemne. Même s'il faut considérer que Moscou est celui qui y perd le moyen, elle verra ses recettes baisser avec la chute du prix du baril. L'échec des négociations OPEP-Russie (OPEP+) est une malencontreuse tournure qui enfonce le marché. Une situation de récession inédite qui conduirait à une  saturation de la capacité de stockage, d'ici l'été, si la situation ne change pas.  

L'annonce de la reprise des négociations jeudi aura déjà un impact positif sur les marchés en début de semaine.

Il est important de re-situation le contexte. La guerre des prix lancée par Riyad au lendemain de l'échec des négociations OPEP-Russie (OPEP+) n'a pas encore livré tous ses secrets. Mais dans cette « guerre commerciale » sur fond de crise, la désagrégation du cours du Brent tout comme la surproduction ne profiteront quasiment à personne. Pas même à l'Arabie Saoudite pourtant premier producteur mondial. Sinon un petit peu à la Russie lancée dans une guerre contre les producteurs américains de pétrole de schiste et leur stratégie de marché qu'elle juge nuisible pour son économie. En effet, Moscou, qui a besoin de ses recettes pétrolières et gazières, estime que les producteurs américains de pétrole de schiste bénéficient des coûts d’exploitation très bas pour garder pignon sur le marché. Cette situation qui proroge les incertitudes économiques jette de l'inquiétude sur les perspectives non seulement de la productivité et de la commercialisation, mais sur les stockages (logistiques et infrastructures). 

Dans cette guerre des parts de marché, l'offre explose alors que la demande est en chute libre avec la pandémie. Cette situation actuelle du marché engendre un surplus d'offre supérieur à 20 millions de barils difficile à écouler.  Les Etats Unis qui, jusqu'ici, refusaient "l'effort" demandé par Moscou est le premier à subir les contre-coût de la guerre des prix lancée par Ryad. L'impasse laisse présager un autre risque : celui saturation de la capacité de stockage, d'ici l'été, si la situation ne change pas. Inquiets et alertes, les producteurs américains commençaient déjà à se lancer dans une sorte de ..."Dumping" maquillé pour décongestionner leurs sites de stockage. A ce rythme, les stockages seront pleins à ras bord d'ici à quelques semaines. La situation est inédite dans l'histoire plus que centenaire de l'or noir. La demande mondiale pourrait chuter de 20 à 30 millions de barils par jour au deuxième trimestre, soit un recul de 20 à 30 %.

Même s'il n'est pas joué d'avance que les Américains cèdent à la demande des Russes, le simple effet d'annonce de la reprise des négociations peut avoir un effet positif sur les marchés financiers en ce début de semaine. L'on pourrait espérer une légère évolution des prix avant même accord, et ce dès la fin de séance de ce lundi 06 avril 2020. 


samedi 4 avril 2020

Le pétrole : OPEP+ en suspend dans un marché étouffé par 3 équations à trois inconnues

Cheikh Mbacké SENE, Expert en Communication et Intelligence Economique

A partir du 1er avril 2020, avec l'échec des négociations OPEP-Russie (OPEP +), les producteurs mondiaux de pétrole ne sont plus obligés de réduire leur production. La Russie a refusé l'offre de l'OPEP d'une réduction collective supplémentaire de 1,5 million de barils par jour jusqu'à la fin de 2020. Une situation qui confronte le marché mondial du pétrole à trois problèmes majeurs, tous liés, dont le premier est la prolongation de la pandémie de Covid19, avec ses effets dramatiques sur l'économie mondiale. La deuxième équation, toujours inhérente à cette crise sanitaire mondiale, est l'échec des pourparlers OPEP-Russie (OPEP +) entraînant une forte baisse des prix du pétrole . Et ces derniers jours, le marché est confronté à un risque de saturation de la capacité de stockage, d'ici l'été, si la situation ne change pas.
La pandémie de Covid-19 continue comme on le craignait et fait baisser les prix du pétrole, qui ont perdu les deux tiers de leur valeur depuis le début de l'année. Le baril de référence WTI atteignait 20,09 $ au 31 mars 20020, le prix le plus bas depuis 2002. Confronté à un double choc de l'offre et de la demande, le prix du pétrole plonge toujours. La barre de 20 dollars le baril est franchie et elle est loin d'être terminée. De sombres perspectives de 15 à 10 dollars le baril ne sont pas à exclure. Ce serait une première depuis la crise asiatique de 1998.
Jusqu'à présent, cela a contraint les producteurs à stocker jusqu'à ce que les prix augmentent pour éviter le dumping. Ce n'est qu'au rythme du marché, face à la destruction de l'offre et à la prolongation de l'incertitude, que l'on s'oriente vers la saturation des capacités de stockage d'ici l'été.
Un excédent d'approvisionnement de +20 millions de barils à gérer.
La guerre des prix lancée par Riyad au lendemain de l'échec des négociations OPEP-Russie (OPEP +) n'a pas encore révélé tous ses secrets. Mais dans cette «guerre commerciale» sur fond de crise, la désintégration du prix du Brent et la surproduction ne profiteront guère à personne. Pas même l'Arabie saoudite, premier producteur mondial. Si ce n'est pas un petit peu, la Russie s'est lancée dans une guerre contre les producteurs américains de pétrole de schiste et leur stratégie de marché qu'elle a nui à son économie. En effet, Moscou, qui a besoin de ses revenus pétroliers et gaziers, estime que les producteurs américains de pétrole de schiste bénéficier de coûts d'exploitation très bas pour rester en mesure sur le marché. Cette situation, qui prolonge les incertitudes économiques, suscite des inquiétudes quant aux perspectives non seulement de productivité et de commercialisation, mais aussi de stockage (logistique et infrastructures).
Mode de calcul SMRC révisé pour un sentiment d'assurance
La spécificité du pétrole et de ses moyens de stockage complique la gestion des flux devenus ingérables à mesure que les mesures de confinement se multiplient dans le monde pour tenter d'enrayer la propagation de Covid-19. L'offre excédentaire, estimée à plus de 20 millions de barils par jour, inquiète plus qu'elle ne devrait rassurer. L'excédent est une équation à laquelle les producteurs en général et les États-Unis il faut en particulier trouver une solution. Certains d'entre eux revoient leur stratégie commerciale, se réorientent vers un dumping qui ne dit pas son nom (payer pour se débarrasser du pétrole), afin de libérer de l'espace et surtout d'éviter de devoir arrêter leur production par manque de flux de leurs produits. Une telle situation entraînerait d'autres pertes inhérentes à la masse salariale des Ressources Humaines totalement cantonnées au chômage technique. Le pire serait l'impact psychologique d'un éventuel arrêt de production sur les marchés financiers, déjà fragilisés par la chaîne de mauvaises décisions et l'incertitude qui persiste. Pour anticiper cette «éventualité» catastrophique, certains producteurs modifient leur méthode de calcul SMRC (coût marginal à court et long terme) afin de la réduire en excluant les coûts d'investissement.
Dans la situation actuelle, aucun producteur ne sort quasiment indemne, quelle que soit la stratégie nationale mise en place. Et le salut ne pouvait venir que du recul significatif de la pandémie et / ou d'un éventuel accord entre la Russie et l'OPEP. Cette deuxième piste est plus réalisable à court terme puisque Moscou et Ryad continuent d'échanger pour un accord dans les plus brefs délais. En attendant et d'autre part, la stratégie de décongestion des stocks peut être une grande opportunité pour les pays non producteurs qui disposeraient d'une capacité de stockage assez importante. A suivre.

jeudi 2 avril 2020

Analyse – Le Monde doit s’attendre à une récession et même à une crise économique si la pandémie perdure.

Analyse – Le Monde doit s’attendre à une récession et même à une crise économique si la pandémie perdure.
Cheikh Mbacké Sène, 
Expert en communication & Intelligence économique

On aura beau tenté de rassurer les gens quant à une éventuelle stabilisation de l’économie mondiale, mais force est de se rendre à l’évidence des risques fomentés par une pandémie tenace et jusque-là non maîtrisée. Ce serait illusoire de garder une appréhension positive des perspectives l’économie mondiale, sachant que la situation est à la merci du Coronavirus. Ce qui était jusqu’ici une épidémie est non seulement devenue pandémique, mais n’est pas près de s’arrêter. Même si la santé et la survie sont les arguments les plus mis en avant, ceux économiques ne sont pas loin derrière. Le monde entier est affecté et les plus fortes économies en premier. Les places financières vivent au jour le jour dans une incertitude spéculative, une fragilité déconcertante et une absence de visibilité tangible. La productivité mondiale tout comme les commandes et volumes d’export sont en décroissance. Le commerce international est affecté de jour en jour. Le Monde vit une des pires crises sanitaires depuis un siècle. Si cette situation perdure, le Monde devra s’attendre à une des pires crises économiques de son histoire également.
Le Monde, qui ne s’est déjà pas encore totalement remise de celle de 2008, est comme maintenant un malade chronique. De la crise des subprimes à celle de la Covid-19, il aura tout vécu et semble avoir du mal à sortir durablement la tête de l’eau aura tout vécu. De la crise économique susmentionnée à la pandémie du Coronavirus, le Monde a subi des conjonctures internationales, des austérités par pays et/ou régions interposé, et pis encore les crises sanitaires comme les épidémies du Sras, d’Ebola…
Le « Black Monday » du 09 mars 2020 qui s’est traduit par une journée affolante pour l’ensemble des places financières, sur effet de l’effondrement « surprise » du cours du baril (le Brent et le WTI), lequel atteignant son niveau le plus bas depuis 2016, est un scénario qui pourrait se répéter tant que la pandémie persiste. Il ne s’agit plus de se focaliser sur le poids unique de la Chine dans l’économie mondiale, mais de la somme des pays et régions touchés. Les mastodontes de l’économie mondiale sont tous affectée et ne semblent pas encore freiner la propagation du virus.  La Chine qui est l’épicentre de la pandémie représente à elle seule 15% du PIB mondial, derrière les Etats Unis (24%) qui vient de décréter l’état d’urgence. Avec 17 300 milliards de dollars en 2017 selon la Banque mondiale, l’Union européenne est la 2e puissance économique du monde (elle était la première en 2014) et qui représente 21% du PIB mondial, derrière les Etats-Unis est déclaré par l’OMS « nouvel épicentre du Coronavirus ». Le nombre d’Europe a augmenté d’environ 16 000 depuis lundi 09 mars 2020, une moyenne de 4 000 par jour. Comparaison pour comparaison, au plus fort de la crise en Chine début février, les responsables de la santé de Pékin signalaient régulièrement environ 3 000 nouvelles infections par jour.  Les mesures sanitaires prises en une semaine partout en Europe ont un impact directement l’économie européenne et donc mondiale.  D’autres grandes puissances comme le Japon (6%), l’Inde (3%), le Brésil (3%) et le Canada (2%) sont également  durement touché et ont pris des mesures réduisant bon gré malgré leur interaction (économique) avec le reste du Monde. Comment ne pas s’inquiéter de la situation économique mondiale dans les semaines voire mois à venir? Comment ne pas s’attendre à une récession mondiale puisque le monde entier observe en même temps un dérèglement global tant dans la productivité que dans les inter-agissements commerciaux entre Etats?
La pandémie bouleverse à coup sûr toutes les perspectives économiques annoncées en début d’année et de surcroît aux lendemains de l’accord sino-américain.


Une pandémie qui étouffe les espoirs de l’accord sino-américain de janvier 2020 et conduit vers une récession.


Pour 2020, révision des perspectives oblige, le monde doit se préparer à une situation socioéconomique peu reluisante par à 2019. L’espoir fomenté par retour à la normale des relations sino-américaines s’estompe progressivement au fur et à mesure que la pandémie du coronavirus tisse sa toile planétaire. Malgré les agitations scientifiques depuis janvier 2020, aucun sérum ou remède ne semble concrètement apparaitre à l’horizon. Pendant ce temps, les places financières piquent du nez en même temps que le prix du baril. Le pétrole qui a terminé ce « lundi noir » en baisse de 25% à New York, à 31,13 dollars le baril, chutant de 10,15 dollars au total, tandis que le baril de Brent coté à Londres s’effondrait à quelques minutes de sa propre clôture de 24% à 34,40 dollars. Dans le sillage des places financières en Asie, les Bourses européennes avaient toutes dévissé lu. A Paris, le CAC 40 a perdu 8,39%. La Bourse de Milan a chuté de 11,17%. Le coronavirus s’est révélé bien plus brutal que prévu sur l’économie mondiale en convalescence depuis de crise de 2008. Les importations et exportations de l’Empire du milieu sont en fort recul depuis le début de l’année, Cette tendance permet aux États-Unis de réduire leur déficit commercial vis-à-vis de la Chine.  Même si la fin de semaine (vendredi 13 mars 2020) a été un peu plus reluisante, force est de penser que le rebond de places financières pourrait ne pas durer, surtout à la considération de la superposition des mauvaises annonces des grandes puissances.
Prémonition ?


Dans mon article du 17 janvier 2020 intitulé « Impacts de l’accord sino-américain sur l’économie mondiale et africaine », j’avançais des perspectives optimistes sauf « aléas ».  Le mot « aléas » avait et a ce jour tout son sens.  J’évoquais même la possibilité à l’Afrique de récupérer au moins le point de croissance qui l’échappe depuis 2016. Mais je précisais déjà que cet accord, même si elle contribuait à la stabilisation des rapports, renforçait le climat de confiance et conditionnait les performances économiques mondiales en générale et africaines en particulier, il ne résolvait pas pour autant les problèmes structurels que connaissent les deux premières puissances. Tout cela pour rappeler en substance que l’économie mondiale n’était pas parvenue à gommer et/ou rectifier ses tares issues de la Crise de 2008.
J’avais également développé la thèse de stabilisation de l’économie mondiale avec comme passage obligé une bonne appréhension des marchés financiers en écrivant ceci : »la stabilisation des performances des places financières allait être inhérente à celles du cours du baril et du dollar. Et il ne faudra pas perdre de vue les déficiences monétaires sur le rapport du trio EURO-DOLLAR-YUAN. Surtout que cet accord, en sa phase 1 est un début de résolution de la problématique commerciale (douanière…), qui ne résout pas pour autant les déficiences majeures du système monétaire international et encore moins la problématique de la demande d’actifs sûrs sur le marché international. Après tout dépendra de la lecture des marchés financiers dont les attitudes conditionneront les investissements et échanges commerciaux dans le courant de l’année. »
Sauf que toute la confiance engrangée par ces marchés financiers depuis la signature de l’accord est en train d’être « gommée » par la pandémie et le « conflit pétrolier » qui en émane entre l’Opep et la Russie. Plus par l’inquiétante impuissance, le flou économique et l’impossibilité de se projeter face à la durée de l’épidémie du coronavirus que par la pandémie elle-même. Les places financières ont subi les mauvaises performances des secteurs les plus touchés ces derniers jours : le tourisme, le transport, la restauration, l’industrie manufacturière, l’évènementiel…
La stabilisation des cours du baril du pétrole dans les deux références mondiales que j’avais défini comme une des conditions sine qua none de reprise, n’aura pas peut être lieu de sitôt. Ce qui sera encore difficile avec les tensions géo-politico-militaires dans les pays du Golfe (sécurisation des installations pétrolières…). Déjà en février le baril de Brent pour livraison en février avait terminé l’année dans une progression de 1,07% pour s’établir à 67,92 dollars, quand le WTI texan pour même échéance (du 31/12/2019) s’est adjugé 0,93% à 61,68 dollars. Des niveaux que les deux références mondiales de pétrole brut n’avaient plus atteints depuis mi-septembre dernier et l’envolée de 15% en une séance après l’attaque d’installations pétrolières saoudiennes par des drones yéménites. Avec des stocks à des niveaux record et une trêve commerciale imminente, les perspectives pour la demande mondiale en pétrole devaient continuer de monter. L’Arabie Saoudite qui verra ses recettes touristiques baisser sera plus regardante sur ses volumes de production pétrolière. L’Opep veut contrer l’effet coronavirus sur l’or noir. L’échec des discussions entre l’Opep et la entre Russie, non-membre de l’organisation, passant par là, l’Arabie Saoudite annonçait déjà le 8 mars (veille du krack) une augmentation de sa production de brut à plus de 10 millions de barils par jour (bpd) en avril 2020 adoubée d’une stratégie de prise de parts de marché. La Russie, deuxième pays producteur mondial de brut derrière les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite (3e) assurent ensemble plus de 40 % de la production mondiale de pétrole. L’Arabie saoudite, chef de file du cartel, a vivement réagi au refus de Moscou de réduire davantage la production de brut pour enrayer la chute des cours liée à l’épidémie de coronavirus. En baissant ses prix et en rouvrant ses vannes, une attitude à l’opposé de ce qu’il souhaitait mettre en place avec l’ensemble de ses alliés (membres ou non de l’Opep), l’Arabie Saoudite espère freiner le recul de ses parts de marché. Il en a d’autant plus besoin avec la pandémie déclarée, les pèlerinages, notamment à La Mecque, ont été suspendus, ce qui réduit ses revenus.


Peut-on s’attendre à une décrue des prix à la pompe, si la baisse des cours du brut se poursuit ? 
Maintenant, il faut comprendre que le pétrole est comme disait l’autre, un peu le système sanguin de l’économie mondiale et que de violents chocs dans un sens, dans un autre sur l’économie du pétrole, ça a toujours des conséquences qui sont plutôt délétères pour l’ensemble de l’activité économique mondiale. Et cette situation peut durer. Non seulement ça peut durer longtemps, mais en plus la Russie et la sphère d’influence à laquelle appartiennent l’Arabie saoudite se jouent une guerre par ennemi interposé en Syrie. Ça peut très facilement se prolonger, mais aussi s’envenimer. La demande de pétrole mondiale est très basse aujourd’hui à cause du coronavirus. On a vraiment des conditions où un peu tout le monde est dos au mur. On est potentiellement face à une situation comparable à celle qu’on a connue dans les années 80, lors du contre-choc pétrolier, qui est un moment historique. Les Etats peuvent aussi décider de ne pas baisser les prix à la pompe pour compenser les surcoûts engendrés par la prise en charge médicale et/ou plan de riposte. Dans tous les cas. On n’est pas sorti de l’auberge et la récession est imminente. Reste à savoir maintenant comment se préparer à cette éventualité ?

Analyse parue dans la presse sénégalaise du 20 au 30 mars 2020

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