dimanche 20 juillet 2025

Le départ des militaires français du Sénégal n’est pas une victoire : Stratégie, influence, dépendances : le piège d’une « victoire » apparente

L’annonce du retrait définitif des troupes françaises stationnées à Dakar

marque un tournant dans les relations franco-sénégalaises. Pour beaucoup, ce

départ constitue une victoire symbolique : celle d’une souveraineté retrouvée,

d’un affranchissement postcolonial, d’une affirmation de soi face à une

puissance étrangère.


Mais à y regarder de plus près, ce départ ne doit ni masquer nos vulnérabilités

profondes, ni nourrir des illusions de puissance retrouvée. Il nous oblige, au

contraire, à repenser les fondements réels de notre autonomie stratégique, à

questionner nos forces comme nos fragilités, et à projeter le Sénégal dans une

nouvelle ère où l’indépendance proclamée devra devenir indépendance assumée,

consolidée et construite.

1. Un départ symbolique, mais pas stratégique

La base militaire française de Ouakam ne représentait, en vérité, ni une menace

directe pour la souveraineté sénégalaise, ni une pièce centrale du dispositif militaire

national. Sa présence, bien que symboliquement lourde, s’inscrivait dans une logique

de coopération bilatérale, fruit d’un héritage historique mais aussi de choix politiques

assumés depuis les années 1960.

Son démantèlement, voulu par le nouveau pouvoir sénégalais dans un contexte

régional marqué par une montée du sentiment anti-français, relève davantage d’une

affirmation politique que d’un bouleversement stratégique. Car le vrai défi n’est pas

tant le départ de quelques centaines de soldats, mais bien la capacité de l’État

sénégalais à assurer, seul, sa défense, sa sécurité, la stabilité de ses frontières et la

protection de ses ressources.

2. La souveraineté ne se décrète pas : elle se bâtit

Il ne suffit pas de mettre fin à une présence étrangère pour devenir pleinement

souverain. La souveraineté ne se mesure pas à l’absence de l’autre, mais à la

solidité de ses propres moyens. Elle suppose des institutions solides, des choix

clairs, des capacités réelles et une vision stratégique.

Le Sénégal ne peut prétendre à une souveraineté authentique s’il ne dispose pas :

 d’une armée dotée d’une autonomie opérationnelle et technologique,

 d’une capacité nationale de surveillance et de réaction aux menaces,

 d’une diplomatie sécuritaire affirmée dans une région en recomposition

permanente,

 et d’une doctrine de sécurité claire, lisible et adaptée aux nouvelles formes de

conflictualité.


Ce n’est pas en faisant sortir l’autre que l’on entre dans l’histoire. C’est en se dotant

des moyens de durer, de résister, d’anticiper, de décider.

3. Le vrai défi : ne pas substituer une tutelle à une autre

Face au retrait progressif de la France dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest,

certains États ont réorienté leurs alliances vers de nouveaux partenaires. La Russie,

la Chine, la Turquie, les Émirats arabes unis ou encore le Maroc renforcent leur

présence militaire, sécuritaire, économique, parfois idéologique.

Mais le risque est grand de remplacer une dépendance par une autre, au nom d’un

faux rééquilibrage. Se libérer ne consiste pas à changer d’allié, mais à pouvoir choisir

librement ses alliances, dans la clarté des intérêts et la pleine maîtrise de ses

orientations.

Le Sénégal n’a pas besoin de protecteurs. Il a besoin de partenaires respectueux,

d’accords équitables, et d’une stratégie nationale qui définisse clairement ce qui est

négociable — et ce qui ne l’est pas.

4. Ce que le départ ne changera pas

Soyons lucides. Le départ des militaires français ne réduira pas :

 la fragilité de nos zones frontalières,

 l’extension des menaces terroristes en provenance du Sahel,

 les risques liés à la piraterie maritime dans le Golfe de Guinée,

 ni les dynamiques de criminalité transnationale (trafics, orpaillage,

cybermenaces, etc.).

Il ne renforcera pas non plus, par magie :

 nos capacités de projection régionale,

 notre chaîne logistique militaire,

 notre autonomie technologique ou navale,

 ou encore la cohésion entre nos institutions de sécurité et la population.

Ce que change le départ, c’est le regard porté sur nous-mêmes. Il nous oblige à

répondre à une question cruciale : sommes-nous prêts à assumer seuls la

responsabilité de notre sécurité, de nos intérêts vitaux, de notre présence dans les

arènes stratégiques ?

5. Un moment-charnière : repenser notre doctrine de sécurité

Le départ français offre néanmoins une opportunité historique : celle de refonder

notre approche de la sécurité nationale. Cela passe par la définition d’une doctrine

sénégalaise claire, crédible et moderne, articulée autour de plusieurs axes :

 Souveraineté territoriale : redéploiement et modernisation des forces dans

les zones sensibles (Sud, Nord-Est, zones maritimes) ;

 Capacité nationale : investissements accrus dans les équipements, la

formation, la logistique et le commandement ;

 Résilience régionale : renforcement de la coopération avec nos voisins dans

le cadre d’alliances équilibrées (CEDEAO, G5+Sénégal, Afrique de l’Ouest

Atlantique) ;

 Sécurité civile et sociale : intégration des questions de développement, de

cohésion sociale, d’emploi et de gouvernance locale dans la stratégie

sécuritaire.


Ce n’est qu’à ce prix que le Sénégal pourra assumer, seul et avec sérénité, son

destin stratégique.


Conclusion : vigilance et responsabilité

Le départ des troupes françaises n’est pas une victoire. C’est un point d’inflexion. Un

test. Une alerte. Il ne signifie pas que nous avons gagné, mais que nous avons

désormais la responsabilité d’être à la hauteur. À la hauteur de notre histoire. De nos

engagements. De nos ambitions.

Il ne s’agit plus d’accuser, ni de dénoncer. Il s’agit

de prendre en charge, avec

courage, nos propres intérêts. De ne plus déléguer notre sécurité. De ne plus

attendre d’autrui ce que nous pouvons, et devons, faire par nous-mêmes.

Dans un monde où les puissances ne disparaissent pas mais changent de forme, la

seule souveraineté qui vaille est celle que l’on construit

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