L’annonce du retrait définitif des troupes françaises stationnées à Dakar
marque un tournant dans les relations franco-sénégalaises. Pour beaucoup, ce
départ constitue une victoire symbolique : celle d’une souveraineté retrouvée,
d’un affranchissement postcolonial, d’une affirmation de soi face à une
puissance étrangère.
Mais à y regarder de plus près, ce départ ne doit ni masquer nos vulnérabilités
profondes, ni nourrir des illusions de puissance retrouvée. Il nous oblige, au
contraire, à repenser les fondements réels de notre autonomie stratégique, à
questionner nos forces comme nos fragilités, et à projeter le Sénégal dans une
nouvelle ère où l’indépendance proclamée devra devenir indépendance assumée,
consolidée et construite.
1. Un départ symbolique, mais pas stratégique
La base militaire française de Ouakam ne représentait, en vérité, ni une menace
directe pour la souveraineté sénégalaise, ni une pièce centrale du dispositif militaire
national. Sa présence, bien que symboliquement lourde, s’inscrivait dans une logique
de coopération bilatérale, fruit d’un héritage historique mais aussi de choix politiques
assumés depuis les années 1960.
Son démantèlement, voulu par le nouveau pouvoir sénégalais dans un contexte
régional marqué par une montée du sentiment anti-français, relève davantage d’une
affirmation politique que d’un bouleversement stratégique. Car le vrai défi n’est pas
tant le départ de quelques centaines de soldats, mais bien la capacité de l’État
sénégalais à assurer, seul, sa défense, sa sécurité, la stabilité de ses frontières et la
protection de ses ressources.
2. La souveraineté ne se décrète pas : elle se bâtit
Il ne suffit pas de mettre fin à une présence étrangère pour devenir pleinement
souverain. La souveraineté ne se mesure pas à l’absence de l’autre, mais à la
solidité de ses propres moyens. Elle suppose des institutions solides, des choix
clairs, des capacités réelles et une vision stratégique.
Le Sénégal ne peut prétendre à une souveraineté authentique s’il ne dispose pas :
d’une armée dotée d’une autonomie opérationnelle et technologique,
d’une capacité nationale de surveillance et de réaction aux menaces,
d’une diplomatie sécuritaire affirmée dans une région en recomposition
permanente,
et d’une doctrine de sécurité claire, lisible et adaptée aux nouvelles formes de
conflictualité.
Ce n’est pas en faisant sortir l’autre que l’on entre dans l’histoire. C’est en se dotant
des moyens de durer, de résister, d’anticiper, de décider.
3. Le vrai défi : ne pas substituer une tutelle à une autre
Face au retrait progressif de la France dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest,
certains États ont réorienté leurs alliances vers de nouveaux partenaires. La Russie,
la Chine, la Turquie, les Émirats arabes unis ou encore le Maroc renforcent leur
présence militaire, sécuritaire, économique, parfois idéologique.
Mais le risque est grand de remplacer une dépendance par une autre, au nom d’un
faux rééquilibrage. Se libérer ne consiste pas à changer d’allié, mais à pouvoir choisir
librement ses alliances, dans la clarté des intérêts et la pleine maîtrise de ses
orientations.
Le Sénégal n’a pas besoin de protecteurs. Il a besoin de partenaires respectueux,
d’accords équitables, et d’une stratégie nationale qui définisse clairement ce qui est
négociable — et ce qui ne l’est pas.
4. Ce que le départ ne changera pas
Soyons lucides. Le départ des militaires français ne réduira pas :
la fragilité de nos zones frontalières,
l’extension des menaces terroristes en provenance du Sahel,
les risques liés à la piraterie maritime dans le Golfe de Guinée,
ni les dynamiques de criminalité transnationale (trafics, orpaillage,
cybermenaces, etc.).
Il ne renforcera pas non plus, par magie :
nos capacités de projection régionale,
notre chaîne logistique militaire,
notre autonomie technologique ou navale,
ou encore la cohésion entre nos institutions de sécurité et la population.
Ce que change le départ, c’est le regard porté sur nous-mêmes. Il nous oblige à
répondre à une question cruciale : sommes-nous prêts à assumer seuls la
responsabilité de notre sécurité, de nos intérêts vitaux, de notre présence dans les
arènes stratégiques ?
5. Un moment-charnière : repenser notre doctrine de sécurité
Le départ français offre néanmoins une opportunité historique : celle de refonder
notre approche de la sécurité nationale. Cela passe par la définition d’une doctrine
sénégalaise claire, crédible et moderne, articulée autour de plusieurs axes :
Souveraineté territoriale : redéploiement et modernisation des forces dans
les zones sensibles (Sud, Nord-Est, zones maritimes) ;
Capacité nationale : investissements accrus dans les équipements, la
formation, la logistique et le commandement ;
Résilience régionale : renforcement de la coopération avec nos voisins dans
le cadre d’alliances équilibrées (CEDEAO, G5+Sénégal, Afrique de l’Ouest
Atlantique) ;
Sécurité civile et sociale : intégration des questions de développement, de
cohésion sociale, d’emploi et de gouvernance locale dans la stratégie
sécuritaire.
Ce n’est qu’à ce prix que le Sénégal pourra assumer, seul et avec sérénité, son
destin stratégique.
Conclusion : vigilance et responsabilité
Le départ des troupes françaises n’est pas une victoire. C’est un point d’inflexion. Un
test. Une alerte. Il ne signifie pas que nous avons gagné, mais que nous avons
désormais la responsabilité d’être à la hauteur. À la hauteur de notre histoire. De nos
engagements. De nos ambitions.
Il ne s’agit plus d’accuser, ni de dénoncer. Il s’agit
de prendre en charge, avec
courage, nos propres intérêts. De ne plus déléguer notre sécurité. De ne plus
attendre d’autrui ce que nous pouvons, et devons, faire par nous-mêmes.
Dans un monde où les puissances ne disparaissent pas mais changent de forme, la
seule souveraineté qui vaille est celle que l’on construit
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