dimanche 20 juillet 2025

Pourquoi les banques africaines doivent investir dans l’intelligence économique

Dans un monde dominé par l’accélération technologique, la guerre de l’information et la compétition asymétrique, les banques africaines n’ont plus le luxe de naviguer à vue. L’heure n’est plus à la simple réactivité, mais à l’anticipation. À l’ère du big data, des fintechs, des cyberattaques et de l’instabilité géopolitique, seule l’adoption d’une démarche structurée de veille stratégique et d’intelligence économique (IE) peut leur garantir sécurité, performance et influence.

Une urgence dans un environnement à risques multiples

Les menaces se multiplient : cybercriminalité, instabilités monétaires, sanctions extraterritoriales, exigences réglementaires (LCB-FT, Bâle III), émergence des néobanques, guerre des talents numériques, tensions géopolitiques…

Autant de facteurs qui imposent une lecture continue de l’environnement. La veille stratégique permet de capter les signaux faibles, de repérer les mutations à temps, et d’ajuster les décisions en conséquence. L’inaction expose à la surprise stratégique, à la crise réputationnelle, voire à l’exclusion des circuits internationaux.

Mieux connaître ses concurrents, ses alliés, ses vulnérabilités

L’intelligence économique permet aux banques de cartographier leur environnement concurrentiel et relationnel :

  • Qui pénètre le marché ?

  • Quelles alliances émergent ?

  • Quelle est la réelle solvabilité d’un partenaire ?

  • Qui prépare une disruption silencieuse ?

Elle est aussi un levier pour renforcer les dispositifs de conformité, de KYC (Know Your Customer), et de lutte contre les flux financiers illicites.

Sécuriser le patrimoine informationnel : un enjeu de souveraineté

La donnée est désormais l’actif le plus stratégique du secteur bancaire. Pourtant, de nombreuses banques africaines restent exposées aux risques de fuite d’informations, aux rançongiciels, aux intrusions numériques et à la désinformation.

Intégrer l’intelligence économique dans les stratégies de cybersécurité, c’est protéger ses actifs immatériels, ses clients, ses algorithmes, ses décisions. C’est aussi renforcer sa souveraineté face aux ingérences économiques.

Anticiper la transformation technologique

L’essor des fintechs, des cryptomonnaies, des blockchains ou des monnaies numériques de banque centrale (MNBC) impose une veille technologique permanente.

Les banques doivent scruter les brevets, détecter les innovations de rupture, comprendre les nouveaux modèles économiques et capter les tendances d’usage. Ne pas le faire, c’est risquer l’obsolescence stratégique.

Passer à l’action : quels modèles de déploiement choisir ?

Il ne suffit pas d’en parler, il faut structurer l’action. Plusieurs modèles sont envisageables :

  • Modèle centralisé : cellule IE intégrée à la direction stratégie ou risques.

  • Modèle en réseau : référents IE dans chaque direction fonctionnelle, connectés à un comité de veille transverse.

  • Modèle externalisé : recours à des cabinets spécialisés et à des plateformes de veille.

  • Modèle hybride (le plus agile) : combinaison d’une cellule interne, d’outils numériques, et de partenariats ciblés.

Les outils existent : plateformes de veille automatisée, dashboards dynamiques, OSINT, bulletins d’alerte, cartographies des risques, etc.

Faire émerger une culture de l’intelligence économique


Le succès repose sur un facteur clé : la culture interne. Il faut former les équipes, diffuser la logique de veille à tous les niveaux, créer des routines d’analyse partagée, et surtout, nommer un référent IE au plus haut niveau.

Cela permet d’intégrer la veille dans les processus de planification stratégique, d’innovation, de conformité et de gestion de crise.

Une nouvelle ère bancaire appelle une nouvelle vigilance stratégique

L’intelligence économique n’est pas un luxe, en
core moins un gadget. C’est un levier de compétitivité, de souveraineté et de pérennité. Dans un contexte africain où les équilibres sont mouvants et les acteurs multiples, elle est devenue une condition de survie autant qu’un facteur de domination.

Demain, plus encore qu’aujourd’hui, ce ne sont pas les banques les plus riches qui domineront, mais celles qui sauront voir avant les autres, lire entre les lignes, et décider au bon moment.

La balle est dans le camp des dirigeants.

Le temps de l’intelligence économique pour les banques africaines, c’est maintenant.

Comme le rappelait Sun Tzu : « Celui qui connaît l’autre et se connaît lui-même remportera cent batailles. »
À condition, bien sûr, de savoir regarder plus loin, plus tôt, et plus profondément.

Le départ des militaires français du Sénégal n’est pas une victoire : Stratégie, influence, dépendances : le piège d’une « victoire » apparente

L’annonce du retrait définitif des troupes françaises stationnées à Dakar

marque un tournant dans les relations franco-sénégalaises. Pour beaucoup, ce

départ constitue une victoire symbolique : celle d’une souveraineté retrouvée,

d’un affranchissement postcolonial, d’une affirmation de soi face à une

puissance étrangère.


Mais à y regarder de plus près, ce départ ne doit ni masquer nos vulnérabilités

profondes, ni nourrir des illusions de puissance retrouvée. Il nous oblige, au

contraire, à repenser les fondements réels de notre autonomie stratégique, à

questionner nos forces comme nos fragilités, et à projeter le Sénégal dans une

nouvelle ère où l’indépendance proclamée devra devenir indépendance assumée,

consolidée et construite.

1. Un départ symbolique, mais pas stratégique

La base militaire française de Ouakam ne représentait, en vérité, ni une menace

directe pour la souveraineté sénégalaise, ni une pièce centrale du dispositif militaire

national. Sa présence, bien que symboliquement lourde, s’inscrivait dans une logique

de coopération bilatérale, fruit d’un héritage historique mais aussi de choix politiques

assumés depuis les années 1960.

Son démantèlement, voulu par le nouveau pouvoir sénégalais dans un contexte

régional marqué par une montée du sentiment anti-français, relève davantage d’une

affirmation politique que d’un bouleversement stratégique. Car le vrai défi n’est pas

tant le départ de quelques centaines de soldats, mais bien la capacité de l’État

sénégalais à assurer, seul, sa défense, sa sécurité, la stabilité de ses frontières et la

protection de ses ressources.

2. La souveraineté ne se décrète pas : elle se bâtit

Il ne suffit pas de mettre fin à une présence étrangère pour devenir pleinement

souverain. La souveraineté ne se mesure pas à l’absence de l’autre, mais à la

solidité de ses propres moyens. Elle suppose des institutions solides, des choix

clairs, des capacités réelles et une vision stratégique.

Le Sénégal ne peut prétendre à une souveraineté authentique s’il ne dispose pas :

 d’une armée dotée d’une autonomie opérationnelle et technologique,

 d’une capacité nationale de surveillance et de réaction aux menaces,

 d’une diplomatie sécuritaire affirmée dans une région en recomposition

permanente,

 et d’une doctrine de sécurité claire, lisible et adaptée aux nouvelles formes de

conflictualité.


Ce n’est pas en faisant sortir l’autre que l’on entre dans l’histoire. C’est en se dotant

des moyens de durer, de résister, d’anticiper, de décider.

3. Le vrai défi : ne pas substituer une tutelle à une autre

Face au retrait progressif de la France dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest,

certains États ont réorienté leurs alliances vers de nouveaux partenaires. La Russie,

la Chine, la Turquie, les Émirats arabes unis ou encore le Maroc renforcent leur

présence militaire, sécuritaire, économique, parfois idéologique.

Mais le risque est grand de remplacer une dépendance par une autre, au nom d’un

faux rééquilibrage. Se libérer ne consiste pas à changer d’allié, mais à pouvoir choisir

librement ses alliances, dans la clarté des intérêts et la pleine maîtrise de ses

orientations.

Le Sénégal n’a pas besoin de protecteurs. Il a besoin de partenaires respectueux,

d’accords équitables, et d’une stratégie nationale qui définisse clairement ce qui est

négociable — et ce qui ne l’est pas.

4. Ce que le départ ne changera pas

Soyons lucides. Le départ des militaires français ne réduira pas :

 la fragilité de nos zones frontalières,

 l’extension des menaces terroristes en provenance du Sahel,

 les risques liés à la piraterie maritime dans le Golfe de Guinée,

 ni les dynamiques de criminalité transnationale (trafics, orpaillage,

cybermenaces, etc.).

Il ne renforcera pas non plus, par magie :

 nos capacités de projection régionale,

 notre chaîne logistique militaire,

 notre autonomie technologique ou navale,

 ou encore la cohésion entre nos institutions de sécurité et la population.

Ce que change le départ, c’est le regard porté sur nous-mêmes. Il nous oblige à

répondre à une question cruciale : sommes-nous prêts à assumer seuls la

responsabilité de notre sécurité, de nos intérêts vitaux, de notre présence dans les

arènes stratégiques ?

5. Un moment-charnière : repenser notre doctrine de sécurité

Le départ français offre néanmoins une opportunité historique : celle de refonder

notre approche de la sécurité nationale. Cela passe par la définition d’une doctrine

sénégalaise claire, crédible et moderne, articulée autour de plusieurs axes :

 Souveraineté territoriale : redéploiement et modernisation des forces dans

les zones sensibles (Sud, Nord-Est, zones maritimes) ;

 Capacité nationale : investissements accrus dans les équipements, la

formation, la logistique et le commandement ;

 Résilience régionale : renforcement de la coopération avec nos voisins dans

le cadre d’alliances équilibrées (CEDEAO, G5+Sénégal, Afrique de l’Ouest

Atlantique) ;

 Sécurité civile et sociale : intégration des questions de développement, de

cohésion sociale, d’emploi et de gouvernance locale dans la stratégie

sécuritaire.


Ce n’est qu’à ce prix que le Sénégal pourra assumer, seul et avec sérénité, son

destin stratégique.


Conclusion : vigilance et responsabilité

Le départ des troupes françaises n’est pas une victoire. C’est un point d’inflexion. Un

test. Une alerte. Il ne signifie pas que nous avons gagné, mais que nous avons

désormais la responsabilité d’être à la hauteur. À la hauteur de notre histoire. De nos

engagements. De nos ambitions.

Il ne s’agit plus d’accuser, ni de dénoncer. Il s’agit

de prendre en charge, avec

courage, nos propres intérêts. De ne plus déléguer notre sécurité. De ne plus

attendre d’autrui ce que nous pouvons, et devons, faire par nous-mêmes.

Dans un monde où les puissances ne disparaissent pas mais changent de forme, la

seule souveraineté qui vaille est celle que l’on construit

lundi 14 juillet 2025

Terrorisme et développement : quand l’insécurité étouffe l’économie du Sahe



Par Cheikh Mbacké SENE –  

Le bruit des armes couvre désormais les espoirs de croissance. De Bamako à Niamey, de Ouagadougou à Tillabéri, le Sahel paie le prix fort d’une insécurité qui se mue en poison économique.

L’Afrique de l’Ouest sahélienne, longtemps perçue comme une zone de transition et d’opportunités agricoles, énergétiques et minières, est aujourd’hui piégée dans une spirale violente où l’essor économique se heurte frontalement à l’insécurité. L’ombre du terrorisme, qui plane depuis plus d’une décennie sur la région, n’érode pas seulement la stabilité politique : elle étouffe progressivement les fondements mêmes du développement économique.

Croissance en chute libre, investissements en berne

Les conséquences macroéconomiques du terrorisme sont alarmantes. Les pays les plus touchés – Mali, Burkina Faso, Niger – ont vu leur croissance économique s’effondrer en quelques années :

  • En 2018, le Burkina Faso affichait une croissance de 6 %. En 2023, elle n’était plus que de 1,5 %, selon la Banque mondiale.

  • Le Mali est passé d’un rythme de croissance de 5 % à moins de 2 %, plombé par les attaques terroristes et l’instabilité institutionnelle.

  • Le Niger, considéré jusqu’en 2022 comme une économie résiliente, est désormais plongé dans une récession de -4,2 % en 2024, à la suite du coup d’État et des sanctions régionales.

Dans l’ensemble de la zone, les investissements directs étrangers (IDE) ont chuté de plus de 60 % depuis 2018, notamment dans les secteurs minier, énergétique et infrastructurel, selon la CNUCED.


🚧 Projets bloqués, corridors commerciaux asphyxiés

Le terrorisme empêche la mise en œuvre de projets structurants cruciaux pour l’intégration régionale :

  • Le corridor Ouagadougou-Abidjan, vital pour l’exportation du coton et des minerais burkinabè, est régulièrement entravé.

  • Le projet de ligne ferroviaire Niamey-Cotonou, qui devait désenclaver le Niger, est suspendu.

  • Le coût des travaux d’infrastructure a augmenté de 30 à 50 %, du fait des exigences sécuritaires, selon la Banque africaine de développement.

Cette dynamique compromet les ambitions de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), en rendant les échanges plus coûteux, moins sûrs et moins compétitifs.

Agriculture menacée, crise alimentaire amplifiée

Dans une région où plus de 80 % de la population vit de l’agriculture et de l’élevage, l’impact est catastrophique :

  • Près de 10 millions de personnes déplacées ont abandonné terres, bétail et outils de production.

  • Le Burkina Faso a perdu 40 % de sa production céréalière dans le Nord et l’Est.

  • Au Mali, plus de 3 000 marchés ruraux sont fermés ou inaccessibles, privant des centaines de milliers de familles de revenus.

Le Programme Alimentaire Mondial (PAM) tire la sonnette d’alarme : la crise alimentaire devient structurelle, et non plus conjoncturelle.

Budgets publics sous pression, développement sacrifié

Dans ces États fragiles, la réponse sécuritaire absorbe désormais une part majeure des ressources nationales :

  • Le Burkina Faso consacre 19 % de son budget national à la défense, contre seulement 7 % à la santé.

  • Le Mali a investi près de 550 milliards de FCFA (près de 900 millions USD) dans son effort de guerre en 2023.

  • La dette publique explose : plus de 70 % du PIB pour certains pays, avec un service de la dette devenu insoutenable.

Les budgets consacrés à l’éducation, à la santé et aux infrastructures de base sont rognés, compromettant les fondations du développement humain.

Une économie parallèle sous contrôle terroriste

Autre danger : la captation de filières économiques par les groupes armés terroristes.

  • Orpaillage clandestin, carburant, bétail, contrebande : ces filières alimentent des économies parallèles non taxées.

  • Dans certaines régions (Est du Burkina, centre du Mali, Sud-Ouest du Niger), l’État a perdu toute souveraineté économique.

  • Ces groupes imposent des “impôts” aux populations locales, sapant l’autorité étatique et creusant l’écart entre les zones gouvernées et les zones abandonnées.

Une réponse multidimensionnelle s’impose

L’approche purement sécuritaire a montré ses limites. Pour endiguer le déclin économique du Sahel, il faut oser une stratégie intégrée autour de cinq axes :

  1. Redéploiement des services publics essentiels dans les zones reculées ;

  2. Réinvestissement massif dans l’économie locale (agriculture, artisanat, TPE) ;

  3. Inclusion des jeunes dans les filières économiques, pour réduire le terreau du recrutement djihadiste ;

  4. Lutte contre la corruption et pour la justice sociale, seule garante de la légitimité des États ;

  5. Coordination régionale accrue pour sécuriser les grands axes et relancer les projets d’intégration.

Conclusion : reconstruire la paix par l’économie

L’Afrique de l’Ouest ne peut pas se développer sans sécurité. Mais elle ne pourra pas non plus se sécuriser durablement sans développement. La guerre contre le terrorisme ne sera gagnée que si elle s’accompagne d’une guerre contre la pauvreté, l’exclusion et la marginalisation. Le véritable antidote au chaos reste un État fort, juste et économiquement inclusif.

Car si la guerre empêche le développement, seul le développement peut définitivement mettre fin à la guerre.

Pourquoi les banques africaines doivent investir dans l’intelligence économique

Dans un monde dominé par l’accélération technologique, la guerre de l’information et la compétition asymétrique, les banques africaines n’on...