dimanche 27 février 2022

Conflit russo-ukrainien - Les équations économiques de l'Etat du Sénégal pour ne pas subir.

 

Cheikh Mbacké SENE, Expert en Intelligence économique et Analyste économique

Avec l'exclusion de la Russie de Swift, système financier mondial de référence qui centralise l'essentiel des transactions financières et commerciales, il est évident que le conflit russo-ukrainien n'épargnera pas l'économie mondiale et par inhérence aucun pays. La Russie a un poids géostratégique et économique dans l'échiquier commercial international. Pour le Sénégal, il est clair que, comme je l'ai déjà développé dans ma précédente analyse (impacts du conflit russo-ukrainien sur l'économie sénégalaise), son économie sera éclaboussée directement par le truchement de probable ralentissement dans les coopérations commerciales bilatérales avec les deux pays, mais aussi et surtout indirectement par les conséquences de la flambée du prix du baril et de la surenchère des produits qui en résulte..

A l'image de plusieurs pays, Le Sénégal vit une situation inattendue qui a des effets macroéconomiques sur l'économie lesquels se traduisent par un contrepoids sur ce qui était jusqu'ici considérée comme une reprise poussive, après la conjoncture résultant de la pandémie. La hausse du prix du pétrole entraîne généralement une augmentation du coût des consommations intermédiaires suivie d’un ralentissement de la production et de la productivité. Elle entraîne également un transfert de richesses entre les pays importateurs nets et les pays exportateurs nets de pétrole, un renchérissement des produits de première nécessité sur le marché mondial, une hausse de l’inflation, une baisse de la consommation de biens et de l’investissement, car l’environnement économique est incertain et suspendu à la durée de la guerre. Inutile donc d'expliquer l'impact sur un pays comme le Sénégal qui a une forte dépendance énergétique vis-à-vis des énergies non renouvelables, comme le gaz ou le pétrole. Ce qui a eu pour effet de rendre particulièrement vulnérable son système de production économique.

Comment subir la flambée des coûts énergétiques et maintenir la production et la productivité nationale en bon niveau pour ne pas gêner la reprise en cours? Comment soulager les importateurs pour stabiliser les prix, maintenir la consommation et contenir l'inflation éventuelle ?

Autant de questions auxquelles l'Etat du Sénégal doit faire face, en trouvant les moyens de gérer les surcoûts s'il veut maintenir le prix à la pompe, mais aussi et surtout ceux des denrées de première nécessité, nouvellement redéfinis. Tous les esprits vont naturellement vers la compensation. 

Maintenir la compensation à tout prix, même par le biais d'un endettement supplémentaire.

Pourtant l'incapacité de financement du pays (eu égard à plusieurs investissements structurels lourds) et la faiblesse ou la quasi-inexistence de l'épargne ne sont plus des secrets. Le recours à l'emprunt (endettement) est plus envisageable pour faire face à cette nouvelle donne économique.  

Suivre la logique économique avec des fluctuations des prix nationaux au rythme de celle du prix du baril aura des conséquences socio-économiques terribles sur le pays. Le contexte social pandémique a eu son impact politique aux dernières élections locales. Les bulletins de votes de quatre grandes villes ont porté les stigmates d'un malaise social que le gouvernement est en train de résoudre avec notamment la mesure de la baisse des denrées de première nécessité : le riz, l'huile et le sucre. Ces trois produits sont malheureusement tous importés pour l'essentiel. Il se pose naturellement la question du maintien des nouveaux prix, sachant qu'il y aura forcément de surcoût dans la production, le conditionnement et le transport. Et l'on sait pertinemment que de fortes hausses du prix du pétrole font toujours craindre un ralentissement de l’activité économique. 

A cela s'ajoute, la question du prix du pain qui devra intégrer le fait que les cours du blé atteignent des niveaux record sur les marchés des matières premières agricoles. Cette situation est expliquée par le fait que la mer Noire, zone du conflit où les navires de commerce ne naviguent plus, produit 15 % des volumes de blé mondiaux et exporte 40 % des blés échangés sur la planète. Se rappelant que le prix du pain a été revalorisé il y a à peine deux à trois mois dans un contexte très tendu entre l'Etat, les boulangers et le consommateur. Toutefois, tout dépend des partenaires commerciaux de nos importateurs de blé, s'ils s'approvisionnent aux États-Unis, en Argentine, en Australie ou encore en France, le risque reste toujours existant mais minime. 

Pour rester dans son élan social sans étouffer la reprise économique qui est en cours, l'Etat du Sénégal devra trouver les moyens de maintenir la compensation des produits de première nécessité. Un sacrifice qui devra passer par un endettement supplémentaire ou une redéfinition des priorités. L'Etat peut dores et déjà envisager une restructuration de la compensation pour des solutions plus structurelles avec en préalables des réformes, pourquoi pas instaurer un registre social unique qui permettrait au gouvernement d'aller vers un ciblage plus stratégique. Mais dans l'urgence,  le financement par la dette de la compensation peut contribuer à une croissance soutenue et inclusive.  Une résilience économique qui garantit une stabilité sociale.

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